L e bombardement a peut-être pris fin, mais la vie à Gaza est loin d’être revenue à ce que chacun de nous considèrerait comme normal. Car à Gaza l’alternance entre les bombardements et le cessez-le-feu ne marque pas la différence entre la guerre et la paix, mais plutôt l’oscillation entre une sorte de violence et une autre. [3]
La clé pour comprendre cela est de reconnaître le fait qu’Israël et la bande de Gaza ne soient pas deux États engagés dans un conflit frontalier temporaire, ou protégeant leur souveraineté ou exerçant leur droit à l’auto-défense. Gaza n’est pas un État, comme le Conseil de sécurité l’a affirmé à plusieurs reprises, c’est un territoire occupé militairement — et il reste sous contrôle israélien. Par suite, en bombardant Gaza, Israël ne bombardait pas le territoire d’un autre État. Il bombardait des gens pour le bien-être desquels il est légalement responsable comme la seule puissance souveraine qui exerce un contrôle sur leur vie — y compris toute chose de ce qui résulte de déterminer la façon dont leurs noms figurent sur les cartes d’identité et dans le registre officiel de la population, jusqu’à peser la quantité d’électricité qu’ils reçoivent, et la nourriture qu’ils sont autorisés à manger. [4]
Les bombes et les roquettes font les manchettes de l’information facile qui attirent l’attention mondiale, mais elles nous distraient de la plus lente et durable réalité beaucoup plus destructrice — à long terme, — qui broie la vie quotidienne à Gaza, et qui procède depuis tellement longtemps que les bombardements sur les individus et les cessez-le-feu n’ont à peu près aucune importance. Même quand ils ont lieu, les actes manifestes de violence tels les bombardements ou les tirs de roquettes ne sont que l’extension des conditions sous-jacentes et continues de la violence d’où ils émergent, — conditions déterminées par la nature et l’étendue du contrôle d’Israël sur Gaza. [5]
Pour avoir une idée de ce contrôle, vous devez aller jusqu’aux processus bureaucratiques silencieux et presque invisibles qui définissent au jour le jour la vie à Gaza, au-delà des dernières proclamations officielles et des unes hurlantes des journaux ou de la télévision. [6]
Par exemple, considérons le fait que des fonctionnaires israéliens il y a plusieurs années développèrent un ensemble de calculs réglés avec précision afin de déterminer exactement combien de calories quotidiennes seraient nécessaires et suffisantes pour maintenir en gros au bord de la famine 1.7 millions de personnes à Gaza : ni consommer assez pour profiter ni franchir la ligne de la famine pure et simple. Le chiffre magique auquel ils parvinrent est 2279 calories par jour et par personne. Les israéliens multiplièrent ce chiffre par le nombre total de la population, ils appliquèrent ensuite ce résultat au nombre des camions pleins en valeur de calories par jour — moins un chiffre tenant compte de la nourriture produite à Gaza — qu’il autoriseraient à entrer dans le territoire. Israël a même rédigé des listes pour préciser les types d’aliments qui seraient autorisés à entrer dans la bande de Gaza (par exemple, les pâtes n’ont pas fait partie de la liste jusqu’en 2009). [7]
Cette obsession israélienne du comptage des calories n’est qu’un aspect d’une stratégie plus large visant à « maintenir l’économie de Gaza au bord de l’effondrement sans la pousser tout à fait au-delà du bord », comme l’ambassade américaine à Tel-Aviv l’expliqua dans un câble filtré de 2008. Et la catastrophe qui en résulta se déroula exactement selon les calculs israéliens : les organisations internationales des droits de l’homme et les agences des Nations Unies à plusieurs reprises mirent en garde contre l’effet des contrôles draconiens d’Israël sur la vie dans la bande de Gaza, comme en témoigne un large éventail de cas allant de l’insécurité alimentaire rampante au retard de croissance chez les enfants et les adolescents. [8]
Vue avec l’optique à travers laquelle Israël considère la bande de Gaza (et les Palestiniens en général), la vie humaine loin de quelque chose de précieux est une force qui doit être contrôlée, canalisée, bloquée et arrêtée si nécessaire. [9]
Pourquoi ? Parce que la plupart de la population de Gaza est constituée par des réfugiés ou des descendants de réfugiés chassés en 1948 de leurs foyers dans d’autres endroits en Palestine, pour faire place à la création d’un État juif. Les politiciens israéliens de tous les horizons (ainsi que l’actuel ambassadeur d’Israël aux États-Unis, l’ayant écrit dans le magazine Commentary il n’y a pas longtemps) parlent ouvertement de la « menace démographique » que les Palestiniens font peser sur Israël. Selon cette logique politique, les Palestiniens ont dû être déplacés en 1948 [10] — et ils doivent encore être déplacés maintenant, à Gaza entre autres — parce que leur nombre modifierait la composition démographique de l’État s’ils étaient autorisés à rentrer chez eux dans leurs villes ancestrales et dans les villages de l’intérieur de ce qui est maintenant Israël. [11]
La menace que fait peser Gaza sur Israël, en d’autres termes, ce n’est pas simplement les roquettes, mais l’abondance de la vie humaine elle-même. En réduisant des gens à une « menace démographique » on les perd de vue comme des gens en premier lieu. Ils deviennent alors simplement une force vivante telle une mauvaise herbe ou un cancer (termes rhétoriques qui n’abondent pas par hasard dans le lexique politique israélien), dont la croissance a besoin d’être tenue en échec, quand elle n’est pas cautérisée ou tout simplement éliminée. Parfois, cette vérification implique des bombardements ou des coups de feu ; le plus souvent, elle implique un broyage à la base, une limitation, un étouffement. [12]
Cependant, les habitants de Gaza ne sont pas seulement une forme protoplasmique qui s’auto-reproduit. Ce sont des hommes, des femmes, et (surtout) des enfants, avec des pensées et des sentiments, des intérêts et des passions, des buts et des affections — comme le grand essayiste anglais, William Hazlitt [13] qui un jour s’était trouvé dans des circonstances analogues, — ainsi que le droit et la volonté d’être libres. Ces gens-là ont besoin de bien plus qu’un cessez-le-feu : ils ont besoin d’une juste paix. [14]
Gaza : People need far more than a ceasefire
30 Nov 2012 11:23
"A Gaza les gens ont besoin de bien plus qu’un cessez-le feu" d’après "Gaza : People need far more than a ceasefire" de Saree Makdisi @ Al Jazeera et traduit en français by Louise Desrenards is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-NoDerivs 3.0 Unported License.
Based on a work at http://www.criticalsecret.net.
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Rappel de la résolution 181 a été votée le 29 novembre 1947 selon les termes suivants :
« Le partage et la création des deux États (État juif, État arabe et zone de Jérusalem sous administration internationale), furent votés par 33 voix contre 13 avec 10 abstentions.
Ont voté pour : États-Unis d’Amérique, Australie, Belgique, Bolivie, Brésil, République socialiste soviétique de Biélorussie, Canada, Costa Rica, Danemark, République dominicaine, Équateur, France, Guatemala, Haïti, Islande, Libéria, Luxembourg, Pays-Bas, Nouvelle-Zélande, Nicaragua, Norvège, Panama, Paraguay, Pérou, Philippines, République populaire de Pologne, Suède, Tchécoslovaquie, République socialiste soviétique d’Ukraine, Union Sud-Africaine, URSS, Uruguay et Venezuela.
Ont voté contre : Afghanistan, Arabie saoudite, Cuba, Égypte, Grèce, Inde, Iran, Irak, Liban, Pakistan, Syrie, Turquie, et Yémen.
Se sont abstenus : Argentine, Chili, Chine, Colombie, Salvador, Éthiopie, Honduras, Mexique, Royaume-Uni, Yougoslavie.
Un coup d’État au Siam empêcha la délégation de ce pays de prendre part au vote. » (source fr.wiipedia)