La photo officielle du Sommet des Amériques de Carthagène (cachée tout en haut à gauche de l’image : Dilma Roussef).
L e mois dernier, le Sommet des Amériques de Carthagène, en Colombie, fut un événement d’une importance considérable — bien qu’il fut mis à l’écart par le scandale des Services Secrets [3]. Il y a trois raisons principales : Cuba, la guerre contre la drogue, et l’isolement des États-Unis [4].
Un titre dans l’Observateur de la Jamaïque décryptait : « Le Sommet montre combien l’influence Yanqui a décliné ». Le récit rapporte que « les grands articles à l’ordre du jour furent comment les pays de la région entière purent se rencontrer en excluant cependant un pays comme Cuba, et le trafic de la drogue lucratif et destructif. »
Les rencontres se terminèrent sans accord en raison de l’opposition des États-Unis sur ces points : le bannissement de Cuba et la politique de dépénalisation de la drogue. L’obstructionnisme continu des États-Unis pourrait bien entraîner le déplacement de l’Organisation des États Américains sous l’égide de la Communauté nouvellement formée de l’Amérique latine et des Caraïbes, d’où les États-Unis et le Canada seraient exclus.
Cuba avait consenti à ne pas assister au sommet parce qu’autrement Washington l’aurait boycotté. Mais les rencontres rendirent évident que l’intransigeance américaine n’allait pas être tolérée longtemps. Les États-Unis et le Canada furent les seuls à s’opposer à la participation cubaine en raison des violations des principes démocratiques et des droits de l’homme à Cuba [5].
Les Latino-Américains peuvent évaluer ces accusations à la lueur d’une large expérience. Ils sont familiers du dossier américain sur les droits de l’homme. Cuba a particulièrement souffert des attaques terroristes et de l’étranglement économique des États-Unis en guise de punition pour son indépendance — son « défi réussi » à la politique américaine renvoyant à la Doctrine Monroe [6].
Les Latino-Américains n’ont pas besoin de lire une bourse d’études des États-Unis pour savoir que Washington soutient la démocratie si, et seulement si, c’est conforme à ses objectifs stratégiques et économiques, et même quand c’est le cas il préfère « un changement démocratique aux tenants et aboutissants limités aux formes qui ne risquent pas de renverser les structures traditionnelles du pouvoir, à travers lesquelles les États-Unis sont depuis longtemps des alliés de l’€ (l’Europe), [(dans) des sociétés parfaitement non démocratiques », comme l’expert néo-Reaganien Thomas Carothers l’indique.
Au sommet de Carthagène, la guerre de la drogue est devenue un problème-clé, à l’initiative du président guatémaltèque nouvellement élu, le général Perez Molina, que personne ne songerait à prendre pour un libéral au coeur tendre. Il a été rejoint par l’hôte du sommet, le Président colombien Juan Manuel Santos, et par d’autres.
La préoccupation n’est en rien nouvelle. Il y a trois ans la Commission latino-américaine sur Les Drogues et la Démocratie publia un rapport sur la guerre de la drogue, par les ex-présidents du Brésil, Fernando Henrique Cardoso, du Mexique, Ernesto Zedillo, et de la Colombie, Cesar Gaviria, appelant à décriminaliser la marijuana et à traiter l’usage des drogues comme un problème de santé publique [7].
De nombreuses recherches, y compris l’étude largement citée de la Rand Corporation [8] en 1994, ont montré que la prévention et le traitement étaient beaucoup plus rentables que les mesures coercitives qui recevaient la majeure partie des financements. Bien sûr, ces mesures non punitives sont également beaucoup plus humaines.
L’expérience est en conformité avec ces conclusions : de loin la substance la plus mortelle est le tabac, qui tue aussi à un taux élevé les non utilisateurs (tabagisme passif). L’usage a fortement diminué parmi les couches les plus instruites, non comme le résultat de la pénalisation, mais du changement de style de vie.
Un pays, le Portugal, a dépénalisé toutes les drogues en 2001 — ce qui signifie techniquement qu’elles demeurent illégales mais sont considérées comme des violations administratives extérieures au domaine pénal. Une étude du Cato Institute [9], par Glenn Greenwald, a établi que le résultat portait « un succès retentissant ». Dans ce succès résident les leçons évidentes par elles-même qui devraient guider les débats politiques sur les drogues dans le monde entier.
Dans un contraste saisissant, les procédures coercitives de la guerre de 40 ans contre la drogue aux États-Unis n’ont eu pratiquement aucun effet sur l’utilisation ou le prix des drogues aux États-Unis, tout en créant des ravages à travers le continent. Le problème est principalement aux États-Unis : à la fois la demande (pour les drogues) et l’offre (des armes). Les Latino-Américains sont les victimes immédiates, subissant des niveaux effroyables de violence et de corruption, avec la dépendance qui se répand à travers les voies du transit.
Quand des politiques sont poursuivies avec une consécration inlassable pendant de nombreuses années et pour autant réputées avoir échoué en termes d’objectifs proclamés, et les alternatives susceptibles d’être beaucoup plus efficaces sont systématiquement ignorées, naturellement des questions se posent sur les motivations. Une procédure raisonnable doit explorer les conséquences prévisibles. Celles-ci n’ont jamais été obscures.
En Colombie, la guerre contre la drogue a été un prétexte pour couvrir la contre-insurrection. La fumigation — une sorte de guerre chimique — a détruit les récoltes et la riche biodiversité, et contribue à mener aux bidonvilles des millions de paysans pauvres, à l’ouverture de vastes territoires pour l’exploitation minière, à l’industrie agro-alimentaire, aux ranchs et autres avantages au puissant.
D’autres bénéficiaires de la guerre de la drogue sont les banques qui blanchissent des sommes massives d’argent. Au Mexique, selon des chercheurs universitaires, les principaux cartels de la drogue sont impliqués dans quatre vingt pour cent des secteurs productifs de l’économie. Des développements semblables se produisent ailleurs.
Aux États-Unis, les premières victimes furent des afro-américains mâles, et aussi de plus en plus des femmes et des Hispaniques — bref, ceux devenus superflus par les changements économiques institués dans les années 1970, qui déplacèrent l’économie dans la délocalisation de la production et la financiarisation.
En grande partie grâce à la guerre contre la drogue — principal facteur de la hausse radicale des incarcérations depuis les années 1980, ce qui est devenu un scandale international, — hautement sélective, les minorités sont expédiées en prison. Le processus ressemble à un « nettoyage social » dans les États Unis américains client de l’Amérique latine, qui se débarrassent des « indésirables ».
L’isolement des États-Unis à Carthagène renvoie à d’autres développements au tournant de la décennie passée, telle l’Amérique Latine qui a enfin commencé à se dégager du contrôle des grandes puissances y compris en s’attaquant à ses affreux problèmes internes.
Longtemps l’Amérique Latine a eu une tradition de jurisprudence libérale et de rébellion contre l’autorité imposée. Le New Deal s’est inspiré de cette tradition. Les Latino-Américains peuvent une fois encore inspirer le progrès en matière des droits de l’homme aux États-Unis.
Pas de copyright ni de CC pour ce texte qui peut être lié et/ou cité mais qui ne peut être copié — car traduit (rapidement) et publié par Louise Desrenards sous réserve du copyright original du texte source The US War on Latin America, © Reader Supported News, le 12 mai 2012 (d’après Cartagena beyond the Secret Service Scandal, © NationofChange (The New York Times Company), le 8 mai 2012).