Mon cœur ressemble à une maison de campagne délabrée sous l’orage. Pendant que je répare la fenêtre du salon, c’est la chambre à coucher qui prend la pluie. Et pendant que je retape l’escalier, un éclair détruit la toiture. Je veux être heureux et pour cela j’essaie d’améliorer mes relations avec les autres, mais soudain je sens un poids de mille atmosphères qui pèse sur mon crâne. J’essaie d’apaiser mes angoisses et me concentre sur une idée positive, consolatrice, mais mes paroles deviennent superficielles, sentimentales, voire carrément débiles, et elles produisent l’exact inverse de ce que je voulais obtenir : je me retrouve pris d’insomnies et de saynètes obsessionnelles ; des images de cauchemar m’assaillent continuellement. A chaque fois que je prends mon marteau et des clous pour retaper un truc alors qu’un autre truc s’écroule de l’autre côté de la pièce, j’ai envie de tchiper comme Big Boi dans le clip de Ms. Jackson — la chanson de OutKast.
Mon corps est à l’image de ce cœur : le foie déconne, je soigne mon foie, et c’est l’estomac qui part en vrille. La vésicule biliaire est calcinée, un chirurgien la retire, et l’acidité accumulée détruit les intestins. Finalement, un autre « spécialiste » trouve ce qu’il faudrait faire au niveau des intestins, mais voilà que le foie recommence déjà à déconner... Tchip. Cette vie est comme un verre qui se vide sans cesse : on a beau remplir, il se vide comme s’il était troué. L’eau s’évapore dans l’air.
On va le dire autrement : face à la progression du mal, je ne cesse de lutter pour obtenir un rétablissement de la situation précédente, or, en agissant ainsi, je mets en péril ce qui peut rester de bien. Je lâche la proie pour l’ombre. Et il y a quelques mois, lorsque je suis allé voir Mme Liu, j’étais dans un état déplorable à force de tout faire pour me soigner. Depuis un an, je naviguais de médecin en médecin et de méthode de guérison et de méthode de guérison : le seul résultat remarquable de mes efforts c’est que mes organes se détérioraient les uns après les autres. Mme Liu a longuement étudié la situation. Elle a tracé quelques idéogrammes sur une feuille de papier pliée en deux et m’a dit avec un ton autoritaire et tranchant : « Impossible de soigner vos organes, soigner l’un c’est attaquer l’autre. Ce qu’on va faire, c’est apaiser l’ensemble. » Et ce n’était pas difficile. C’était même assez facile.
A mesure que le verre de la vie se vide, le verre de l’âme se remplit. Le verre a même souvent l’air de se vider et de se remplir en même temps. La vie de l’âme est en zoom compensé. Se dire qu’on est fichu donne un courage extraordinaire. Se dire qu’on est prêt du but est terriblement décourageant. Il vaut mieux se croire toujours fichu mais tout faire pour remonter la pente. Parce que si on refuse de chasser l’ombre, la proie s’enténèbre d’elle-même ; et la paix même se transforme en guerre comme l’eau s’évapore dans l’air. Au moins, l’ombre est mobile, elle remet tout en question à chaque instant et nous tient dans un état d’alacrité continuel. Si on perd de vue l’ensemble en isolant chaque problème, on contribue à répandre le chaos sur cette planète. Mais si on ne combat pas sans cesse, on périt de la paix superficielle, larvée, qu’on a cru obtenir. Le verre ne doit être ni à moitié vide ni à moitié plein. Le verre est une image de la limite. Sa seule fonction est d’être brisé.
Il ne faut jamais cesser de combattre, mais on ne doit jamais chercher à obtenir une victoire sur le Mal. Il n’y a aucune victoire à obtenir, ni sur le Mal ni sur autre chose. On doit seulement chercher à réparer les injustices et à créer les conditions de la paix. Nous ne sommes vivants ni dans la maladie ni dans la santé, mais dans l’effort fourni pour obtenir la santé. Nous ne sommes vivants ni dans la guerre ni dans la paix, mais dans l’effort fourni pour réparer les injustices et faire advenir la paix. A tous les instants de notre vie, nous nous retrouvons en équilibre sur une corde raide entre deux enfers. Cette corde est tranchante comme un rasoir. Ce rasoir est l’image la plus rapprochée que nous avons du bonheur ■
My heart resembles a decrepit country house under a storm. While I repair the window in the living room, the one in the bedroom invites the rain in. And as I fix the stairs, a lightning strike wounds the roof… I want to be happy and for that I try to improve my relationships with others but, suddenly, I bear the weight of a thousand atmospheres on my skull. I try to calm my anxieties. I try to focus on a positive, comforting idea, but my words become superficial, sentimental, if not downright stupid, and they produce the exact opposite of what I intended : insomnia and obsessive playlets ; nightmare images assail me recurrently. Whenever I take my hammer and nails to fix something, while something else crumbles across the room, I want to suck my teeth like Big Boi in Ms. Jackson’s clip—the song of OutKast.
My body is this heart incarnate : the liver is messing around, I take care of my liver, next is the stomach that spins out of control. The gallbladder prematurely returns to ashes, a surgeon removes it, and the resulting acidity accumulation dissolves my bowels. Finally, another "specialist" finds what should be done about my bowels, but now the liver strikes back... and I suck my teeth again. This life is like a glass that leaks its content : we fill it up to no use because it seems to have a drain ; water evaporates in the air.
In other words : while watching the evil winning ground, I am constantly struggling to restore what failed and in doing so I jeopardize what remained untouched, I’m chasing after rainbows. Therefore, when I went to see Ms. Liu a few months ago, I was a wreck trying too hard to heal myself. For the last year, I have been visiting doctor after doctor and went from healing to healing. The only remarkable result of my efforts was my constant deterioration. Ms. Liu scrupulously studied the situation. She traced a few ideograms on a sheet of paper folded in half and said in an authoritative and sharp tone : “Impossible to treat your organs, to treat one is to attack the other. What we have to do is appease the whole.” And it was not difficult : it was easy enough.
As the glass of life empties itself, the glass of the soul gets filled. The glass often seems to be emptied and filled at the same time ; the soul’s life as seen through a dolly zoom. To say that one is finished gives extraordinary courage. To say that one gets near the goal is terribly discouraging. It is better to think of yourself as always finished but to do everything you can to get back on track. Should we not fight the shadow away, the prey will inevitably shadow itself. Peace becomes war as water evaporates into the air. At least, the shadow is mobile, it challenges everything, always, and keeps us in a state of continual alacrity. If one loses sight of the whole by isolating each problem, one contributes to spread the chaos on this planet. But if one does not fight ceaselessly, one perishes of the superficial, hidden peace, which one had thought to acquire. The glass must be neither half empty nor half full. The glass depicts the limit. Its only function is to be broken.
We must never stop fighting, but we must never seek a victory over evil. There is no victory to be gained, neither over evil nor anything else. We must only seek to repair injustices and create conditions for peace. We are not alive either in sickness or in health, but when the effort is put to obtain health. We are alive neither in war nor in peace, but in the effort to repair injustices and help peace flourish. At every moment of our lives, we find ourselves in a precarious balance on a wire over two infernos. This wire is as sharp as a razor. Its cutting edge is the clearest image we can have of happiness ■
- Up and Down
© Michel Belisle 2017
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L’image la plus rapprochée du bonheur © Pacôme Thiellement
Avec l’aimable autorisation de l’auteur
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Special Thanks : Michel Belisle
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