M ise en situation : Le Plateau est un assez vieux quartier de Montréal. On admet généralement qu’il a été un quartier ouvrier. Quand ces familles l’ont progressivement quitté, les vieux appartements ont été occupés par de jeunes étudiants et artistes, profitant des faibles coûts des loyers... pour des lieux d’habitation devenus vétustes, ou presque.
Aujourd’hui j’habite ce quartier sans y retrouver aucune trace de ce qui l’a rendu célèbre, sans ressentir la présence des fantômes de ces familles préoccupées par un quotidien sobre, précaire, aux qualités d’éternité. Aucun parfum ne subsiste dans l’air pour témoigner du souffle de cette jeunesse aux gestes d’espoir qui y a grandi. Elle a depuis emprunté tous les chemins ouverts en ces temps doux. Ce quartier est disparate, à la fois tissé serré et éclaté, entre toutes les variantes de ces personnes relativement aisées qui tentent de se réconforter dans une vie bien rangée, à l’abri de toute médisance.
Les Vignettes de vie du Plateau ont été sur Facebook, pendant un certain temps, une de mes chroniques les plus appréciées. Je me contentais de décrire le quotidien vu d’un œil extérieur à toute participation réelle à la vie de quartier, y demeurant si étranger sans trouver le goût même après un an d’y tisser quelque relation.
Ci-dessous, quelques nouvelles vignettes vous sont proposées alors que la vie s’éveille à la suite d’un des hivers les plus rudes que nous ayons connus ici depuis soixante ans.
- 13 déc. | Dec. 13
Matin
Enfin un premier matin sans neige. Un soleil vif tente de nous rassurer que le printemps arrivera. Cela restera une promesse tant que les crocus ne voudront poindre, tant que certains oiseaux ne reviendront. Identique à tous les autres de cette période, petit matin frais, léger et insouciant de nous voir encore frissonner. La vie, cette mécanique qui nous est encore mystérieuse. La vie qui existe en elle-même, en nous, hors de nous, surtout hors de nous, cherche par tous les moyens à reprendre un rythme chaud, même s’il fait encore zéro.
- 14 déc. | Dec. 14
Promenade
Une autre matinée. Celle-ci un peu plus douce, plus invitante. Marcher dehors enfin sans gants ! Déchiffrer les rais de lumière. Voir son chien vivant. Autonome. Il bouge par lui-même. Ensemble dans cette rue encore endormie. Jour de congé. Tous rêvassent encore au lit doit-on croire puisque même si l’heure est celle du trafic de l’heure de pointe, nous ne voyons personne ce matin.
Mon chien reprend contact à chaque promenade avec tout ce qui l’entoure, comme si c’était le premier jour. Son nez le guide, je le suis. Aucun besoin d’imposer quelque trajet que ce soit. C’est sa promenade. Son moment. Je n’ai pas besoin de penser à quoi que ce soit. Je suis. C’est un moment lent où le temps se fige juste pour nous donner cette grâce luxueuse de caresser le satiné du temps qui glisse, indéfiniment. C’est dans le maintenant sans lourdeur que l’on saisit bien qu’un jour nous ne serons plus de ce monde. Il nous est impossible de comprendre l’éternité. Mon chien est plus sage que moi : l’éternité ne laisse aucune odeur, c’est sans intérêt.
- 15 déc. | Dec. 15
Métaphysique
Le ciment du trottoir perd de sa rudesse. Nos pas sont souples. Les arbres semblent onduler au rythme de notre allure nonchalante. Nous sommes légers, insouciants, ancrés dans le présent pour quelques instants.
Une intuition me traverse, moi seul. Mon chien poursuit son exploration. Il semble savoir qu’un moment privilégié pour moi est en train de se produire. Je perçois un grand souffle que j’aimerais bien définir en utilisant un tout autre vocabulaire que celui usé du nouvel-âge, du mysticisme populaire, flétri jusqu’à en avoir perdu tout sens, vocabulaire et langage qui ont tenté de matérialiser le domaine des impressions subtiles. Je tente l’exercice.
Ce serait mentir que de nier le caractère mystique de l’expérience que je m’apprête à décrire. Pour ma part il existe un lieu de pensée qui appartient à la fois au domaine de l’athéisme et à celui du mysticisme. Ce lieu ne m’apparait pas comme un paradoxe, une malhabile contradiction ni même d’un phénomène d’oscillation entre l’un et l’autre. Je ne crois plus en ce dieu qui existerait au-dessus de toute chose, qui aurait des pouvoirs infinis et qui dicterait à distance toutes nos actions, ne nous laissant nul autre choix que d’exécuter ses volontés qui sont, comme l’indique quantité de textes religieux, inconnaissables. Cependant, il existe tant de grandeur, de beauté, d’événements splendides et, lorsqu’on lève les yeux au ciel, voir cet infini nous envelopper, qu’il est impossible de penser que tout cela ne constitue qu’un simple fait : il y a davantage que l’idée d’habiter l’univers. L’immensité nous étourdit et amène souvent notre esprit à visiter les limites où se chevauchent la science, la sagesse et la folie. Chacun de ces trois grands domaines possède son propre vocabulaire, son langage intime. Mais lorsque l’on atteint le lieu où ils se superposent, soudainement, aucun mot n’arrive à notre pensée. Tout est plus vaste et on s’y sent vidé de toute substance. La sensation est intérieure, entière, mais avec ces quelques variations telle la brise la plus légère qui soit, alors l’expérience ne possède plus le support de la pensée en laquelle se loge notre langage. Tous les sens sont altérés. Parfois on croit entendre quelque chose, ou encore discerne-t-on vaguement une figure, des silhouettes évanescentes.
Il m’est arrivé déjà de croire que, puisqu’il était impossible de décrire ce type d’expérience, ce devait être quelque chose qui ne pouvait, qui ne devait être partagé. Une invitation privée à découvrir notre intériorité. Mais je n’en suis plus aussi sûr. Ces impressions qui relèvent à la fois du vide, du vertige, de la pleine conscience de ma présence, toute égale puisse-t-elle être avec la conviction que tout ce qui m’entoure existe vraiment... une sensation où la notion de distance ne semble pas s’appliquer, ce qui est près tout comme ce qui est loin devient à portée de main, et j’ose même dire que je ressens que tout ce qui m’entoure est contenu dans ma propre enveloppe. Une image peut-être suffisamment propre pour illustrer cette sensation serait que je suis l’eau dans un verre et que je sois versé dans un autre récipient plus grand contenant également de l’eau. Je me mélange à plus grand que moi, je reste conscient de mon existence mais je perds conscience de ma dimension, de ma limite dans l’espace et le temps.
Dans ces courts moments de grand flou, deux émotions très intenses surgissent à la fois de mon centre et de toutes autres parts à la fois. Un bonheur illimité, apparemment sans fin parfaitement mélangé à un sentiment de lassitude, d’ennui, qui évolue jusqu’à devenir une sensation oppressante, la crainte peut-être d’abord et ensuite affirmée, progressivement, jusqu’à devenir terreur. Bonheur et terreur cohabitant ensemble comme si on avait dilué des pigments jaune et bleu dans l’eau que je mentionnais plus tôt et que je vive le vert par interpénétration, donnant une autre sensation qui elle, n’est ni positive, ni négative, juste quelque chose d’autre, que je nomme intuition à défaut de trouver un mot plus juste.
Le moment d’intuition lorsqu’il atteint son paroxysme me fait pleurer, ni de peine, ni de joie, mais pleurer en rapport avec une question. Car voilà comment se termine ces moment de dissolution : pourquoi moi, devrais-je être touché par quelque chose d’aussi grand ? Quelle est cette chose ?
Lorsque la question survient à l’esprit c’est que la visite dans l’interstice entre les trois domaines est terminée. Les dimensions reprennent leurs valeurs. Les distances se concrétisent. Le temps recommence à circuler. Je me détache de l’entité globale diffuse dans laquelle je baignais. La dualité émotive bonheur-terreur persiste mais s’effacera graduellement. Cette dilution peut prendre de quelques minutes à quelques jours. Pendant ce temps, je suis envahi par la question et une autre se dessine un peu à la manière d’une brume matinale qui s’élève et laisse se déployer le paysage ambiant. Devant moi se tient la question et tout son mystère : Qu’est-ce qui va arriver ? Éventuellement un mot surgira. Mais ce ne peut être forcé. Tout cet acte de découverte et de dévoilement se fait au niveau de l’intuition et du spontané. Le mot se manifestera soudainement, arrêt sur image. Frissons. Stupeur. Je déplie mentalement le message qui m’est destiné. Je lis dans ma tête, interloqué. Un présage.
Quelque chose de merveilleux va se produire.
Ceci est ma troisième expérience. Les deux précédentes se sont avérées vraies. Depuis, je reste intrigué et aux aguets : qu’est-ce qui sera merveilleux ?
- 16 déc. | Dec. 16
Zoo urbain
Marcher dans les rues de Montréal, la nuit, c’est accepter une cassure entière entre le territoire et l’être. Façades des maisons et édifices fermées à tout regard. Froideur de l’espace des rues, souvent trop larges pour rien, ou peut-être pour laisser se diffuser ce parfum d’indifférence qui caractérise cette métropole. Même s’il était midi, je me sentirais seul, à l’étroit dans la foule pressée. Aucun regard ne veut se croiser. Que l’on soit présent ou absent dans cette ville ne change rien.
Toute ma vie s’est déroulée en suivant cette constance : j’ai un mal fou à entrer en relation avec les autres. Je force des distances car je dois apprivoiser, être apprivoisé. Je me sais si inusité. Je déplais à la masse. D’autant plus que dans ce quartier, il faut être en toute apparence conforme avec ses exigences. Doit-on dévier d’un rien pour qu’on nous regarde d’un air curieux, étonné. Sur le Plateau, contrairement à mon ancien quartier, ici on regarde la différence. On la scrute. Il n’y a pas de méfiance mais de la curiosité.
Je me sens comme une bête au zoo qui peut circuler librement parmi les visiteurs. En fait, je suis le visiteur dans ce quartier. Je ne crois pas que je pourrais jamais y prendre racine.
- 17 déc. | Dec. 17
La saison
des trouvailles
L’été passé j’arpentais le quartier juste parce que j’avais du temps libre. Cette année, le temps libre est parti en vacances et je ne visite les rues du Plateau que pour promener mon chien ou encore partir tôt à la recherche d’objets jetés à la rue qui pourraient m’intéresser. De mai à la fin août, c’est la grande période des déménagements. Montréal est une ville en déménagements. On m’a dit que le nombre insensé de déménagements ici était un phénomène unique. Alors qu’on déménage dans tous les quartiers de la ville, le Plateau a cette caractéristique que les objets abandonnés ont encore beaucoup de valeur. On peut se meubler entièrement tout à fait gratuitement et avec un bon goût relatif, évidemment. On trouve même parfois des ordinateurs fonctionnels, et des modèles assez récents, c’est tout dire ! Paradis du vélo, on trouve quantité de pneus et de chambres à air abandonnés, de quoi faire des bricolages en caoutchouc. Et pourquoi ce matériau ? Juste parce que je trouve que ça sent bon.
- 18 déc. | Dec. 18
Non-pardon
L’été, en pleine nuit, c’est une heure amusante pour se promener. Les bars ferment les uns après les autres jetant à la rue leurs habitants temporaires, tous éméchés, tous titubants et surtout tonitruants. À crier autant, ils effraient mon chien qui leur répond avec des aboiements soutenus. Il y a aussi le pendant triste, une dure réalité que personne ne veut voir, pourtant elle me crève les yeux. C’est aussi l’heure de la procession de tous ces hommes seuls, abandonnés par la vie. Ils ont tous ce regard éteint. Mais certains d’entre eux ont ce regard en coin, inquiet. Ils effectuent une recherche vide et froide des limites. Limites des hauts murs, des barbelés, des corridors bruyants, des cellules qu’ils ont habitées durant des années. Remis en liberté, ils ne peuvent s’habituer à regarder au loin ni en ligne droite. Ils fuient l’espace qui les entoure. Ils recherchent un endroit où se fondre avec le décor, dormir sous un escalier peut-être ou, si nécessaire, faire grabuge et se faire cueillir par les autorités pour la nuit.
Redonner la liberté à un homme mais le laisser errer démuni de tout n’est pas un acte de pardon. C’est lui imposer une sentence invisible à vie.
- 19 déc. | Dec. 19
Conversations
À peine un mois avant l’été. Le temps chaud, du moins le temps agréable, est enfin arrivé, installé pour de bon. Mais ce « bon » est toujours transitoire, on le sait bien au Québec. Toujours en arrière plan des pensées de jouissance de l’été circule les vents glacés de l’hiver. L’été est une saison qui n’existe pas seule. Elle est toujours en opposition avec l’hiver. Toujours.
Les premiers signes du beau temps c’est d’entendre la musique qui émane des autos, alors que les passagers se promènent vitres baissées. Cette sensation de musique mobile me ramène toujours, lorsque je l’entends pour les premières fois à chaque année, à mes toutes jeunes années — disons entre 7 et 10 ans — où j’aspirais tant à devenir grand et avoir du fun comme tout le monde. Très, très grand, maintenant, je suis devenu et ce que j’entrevoyais de la vie... c’est tout sauf ces rêves innocents créés dans mon enfance.
Est-ce mieux, est-ce pire ? Assurément pire, mais pas dans un sens aussi négatif, puisque c’est pire pour tout le monde, y compris ceux qui ont réussi à se faire une vie facile. La vie est un combat féroce qu’on se refuse tous de considérer comme tel. On se fait accroire que tout devrait être beau et bien et ceci ne fait qu’aggraver un fossé créateur d’angoisses.
Une de ces belles journées, fenêtres ouvertes, mon appart respire l’air qui circule tout lentement et tous les bruits de la rue entrent avec autant de vigueur que possible. J’habite une rue que l’on considèrerait tranquille. Pourtant une fois chez moi, il y a tellement de sons qui entrent. Toutes sortes de conversations décident de poser des indiscrétions et viennent s’incruster dans l’atelier. (L’atelier est la pièce qui devrait plutôt être le salon, le séjour, le living room, mais je veux profiter de cette fenêtre, de cette clarté pour dessiner).
Je ne suis donc jamais seul dans mon appartement. Ces bribes de conversations passagères me tiennent compagnie... même au milieu de la nuit, si je ne dors pas, si je laisse encore la fenêtre ouverte.
- 20 déc. | Dec. 20
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En français | Into English
Introduction: The Plateau is an older part of Montreal. It is generally accepted that it was a working class neighborhood. Gradually, those workers and their families have left these old apartments and a newer crowd of occupants, mainly young students and artists, took advantage of low rental costs . . . for apartments that were on the verge of becoming slums.
Today I live in this area without finding any trace of what made it famous. The ghosts of those families have long left along with their daily concerns, a simple life on the verge of precariousness, a certain vision of eternity. No perfume is left in the air for us to recall the breath of this youth filled with hopes that once blossomed there. All roads were then wide open to them in those happy years. This neighbourhood is disparate with both a tight sense of community and strict individualism, and houses a broad spectrum of wealthier people in constant need to be comforted in their tidy life, sheltered from slander.
Vignettes from Le Plateau formed a year ago some of my friend’s favorites things I posted on Facebook, a column of some sort. I was merely describing day to day activities as seen by an outsider not partaking in the neighborhood life, still remaining an alien one year later without any desire to bond with this area.
Below, some new Vignettes are presented for your reading pleasure and recounts the awakening of live after one of the harshest winters we have known here for sixty years.
- 13 déc. | Dec. 13
Morning
Finally a first morning without snow. A bright sun tries to reassure us that spring is coming. This will remain a promise until crocuses emerge and some birds come back. Identical to all other mornings this time of year, this one is fresh, bright and unconcerned of us still shuddering. Life, a mechanism still shrouded in mystery. Life that exists for itself, within us, without us, especially without, is seeking by all means a rebirth at a warmer pace, even if it is still freezing point.
- 14 déc. | Dec. 14
A Stroll
Another morning. This one a little milder, more inviting. Finally I can walk outside without gloves! Deciphering the rays of light. Looking at my dog fully alive. By himself. He can move by himself. Together we are in this street still asleep. Day off. They are all still in bed daydreaming, one must believe, because even if usually this is rush hour, there is no one to be seen.
My dog reconnects with everything every time we go for a walk as if it were the first time. His scent guides him; I follow. No need to impose any direction whatsoever. That is his walk. His own time. I do not need to think about anything. I follow. We live in slow motion where time almost freezes graciously allowing us to savour this luxurious soft and indefinite temporal texture. The present time free from any weight lets us envisage that, one day, we will be no more. It is impossible to understand eternity. My dog is wiser than me: eternity leaves no smell, it is irrelevant.
- 15 déc. | Dec. 15
Metaphysics
The concrete of the sidewalk loses its roughness. Our steps are fluid. The trees seem to undulate to the rhythm of our leisurely pace. We are light, carefree, rooted in the present for a moment.
An intuition raises from within, for me only. My dog continues his exploration. He seems to know that right now is a very special moment just for me. I perceive a deep breath I would like to describe using a vocabulary other than that used by the new-agers and pop mystics, their dulled set of words devoid of almost all meanings, vocabulary and language that attempted to materialize the domain of the Subtle. I attempt the same.
It would be a lie to deny the mystical character of the experience I am about to describe. For my part there is a place of thought which belongs to both atheism and mysticism. This place does not appear to me as a paradox, or an awkward contradiction, or even a phenomenon of oscillation between one and the other. I do not believe in a god that exists, separate, and above us all, one that would have infinite powers and distantly dictate our actions, leaving us no choice but to execute his wishes, as it is declared in numerous religious texts, the unknowable entity. However, there is such greatness, beauty, and wonderful events that, when looking above and seeing this infinite envelope upon us, it is impossible to think that this is just a mere simple fact: there is more than the idea of us dwellers in this universe. The vastness stuns us and often leads our mind to visit the overlapping limits of science, wisdom and folly. Each of these three areas has its own vocabulary, its intimate language. But when we reach the point where they overlap, suddenly, no word comes to our mind. Everything is larger and one feels emptied. The sensation emanates from within, whole, but presents itself with a few variations such as the lightest of breeze, then the experience happens, without the support of our thoughts within which resides language. All the senses are augmented. Sometimes I think I can hear something, or I can descry a vague figure, some fleeting silhouettes.
I once believed that, since it was impossible to describe this type of experience, it must have been something that could not be, that should not be shared. A private invitation to discover our inner selves. But I am not so sure anymore. These impressions that relate to the emptiness, dizziness, and full awareness of my presence as equal as it may be with the conviction that what surrounds me is reality . . . a perception to which the concept of distance does not seem to apply: what is afar and what is nearby both seem to be readily attainable, and I dare say that I feel that everything around me is contained within my own shell. An appropriate image to illustrate this would be that I’m the water in a glass and I am being poured in another larger container also holding water. I get mixed with what is larger than me. I remain aware of my existence but I lose consciousness of my dimensions, my limits in space and time.
In these brief moments of the great undefined, two very intense emotions arise both from my center and from all other directions at once. Unlimited happiness of an undefined duration, perfectly mixed with a feeling of weariness, boredom, that evolves to become a sense of oppression, fear at first then gradually scaling up to become terror. Happiness and terror cohabiting as if one had diluted yellow and blue pigments in the water I mentioned earlier and I am becoming living “green” as a result of interpenetration, which brings in turn another sensation that it is neither positive nor negative, but something else I call intuition for lack of a better word.
I cry when this intuition moment reaches its climax, not of sorrow nor of joy, but crying being confronted to a question that is about to be formulated. That’s how these moments end: dissolution through questioning “why me, why should I be affected by something so big? What is this thing?”
When the question arises and becomes clear, it means that the visit to the overlap of the three areas is complete. Dimensions are being reinstated. Distances are actualized. Time resume its flow. I detach myself from the diffuse global entity in which I bathed. The happiness-terror emotional duality persists but fades gradually. This dilution can take a few minutes to a few days. Meanwhile, I am overwhelmed by the question and another one emerges a bit like when the morning fog rises and lets the landscape reveal itself. Before me stands the question and all its mystery: What will happen? In the end a word is elected. But this cannot be forced. The whole act of discovery and revelation is woven from intuition and spontaneity. The word sharply manifests itself. Chills. Stupor. I mentally unfold the message that has been labeled to my intention. I read, puzzled: an omen.
Something wonderful is about to happen.
This is my third such experience. The two preceding proved to be true. Since then, I remain intrigued and keep on the lookout: what will be wonderful?
- 16 déc. | Dec. 16
Urban Zoo
Walking in the streets of Montreal at night means accepting a full break between territory and the self. Facades of houses and buildings closed and reluctant to be looked at. Streets like cold ribbons, often too wide for no reason or perhaps to allow the fragrance of indifference to spread widely; the city’s main characteristic. Even though if it were noon, I would feel alone and cramped in the dense crowd. No one looks at each other. Presence or absence is irrelevant in this city.
My whole life, I had and still have a hard time connecting with others. I keep my distances to get acquainted with and I am cautiously taming my social environment. I am unusual. I don’t fit in the crowd. Especially in this neighbourhood one must totally blend in. Should one deviate from the rules, one is subject to be frankly stared at; provoking astonishment. Le Plateau, unlike my previous neighborhood, is a place where difference is immediately spotted, scrutinized. There is no suspicion but curiosity.
I feel like an animal in a zoo but I can move freely among the visitors. In fact, I am the visitor in this area. I do not think I could ever make it my home.
- 17 déc. | Dec. 17
There
To Be Picked Up
Last summer I explored the neighborhood just because I had more free time. This year, free time took a break and I only stroll the streets of Le Plateau for walking my dog or very early in the morning hunting for some object of interest abandoned on the curb. From May to late August, it is the great moving period. Moving is a local sport in Montreal. I was told that the insane number of people moving every year was a unique phenomenon here. People move from one neighbourhood to another, but in Le Plateau, abandoned objects still have much value. We can fully furnish an apartment for absolutely nothing and, as a neat bonus, with good taste. There are even some functional computers, and fairly recent models, that says it all! Cycling paradise, there are quite a number of tires and inner tubes left there to be picked up, and create new items out of it. And why rubber? Just because I think it smells good.
- 18 déc. | Dec. 18
Unforgiveness
In the summer, at night, there is quite a show worth walking by and watch. Bars close one after another, regurgitating their dwellers on the street, all drunk and staggering about and, above all, quite noisy. Loud as they are, they scare my dog who steadily barks back at them. There is also the harsh reality that nobody wants to see, yet it is blindingly obvious. The sad procession time has come again for all these men alone, abandoned by life. They all have this dull look. But some of them have that sidelong glance, worried. They perform a cold and empty search, looking for some sort of limits, that of high walls, barbed wire, noisy corridors, cells they occupied for years. Released, they cannot get used to look far or straight ahead. They try to escape this too large of a space that drowns them. They are looking for a place to blend in, to disappear, a place to sleep under a staircase or, if necessary, cause some duly trouble in the hope of getting picked up by the cops and be jailed in for the night.
Give freedom back to a man but leave him roaming and deprived of the most basic necessities is not an act of forgiveness. It remains an invisible life sentence.
- 19 déc. | Dec. 19
Conversations
Barely a month before summer. Hot weather, at least fair weather, is finally here, here to stay. But "fair" is always temporary: a well known fact in Quebec. The icy winds of winter are always in the background thoughts of everyone while they are enjoying summer. Summer is a season that does not exist alone. Winter is always around the corner. Always.
The first signs of fair weather for me is when I hear music coming from cars, as passengers enjoy the ride windows down. Every year, whenever I get these first mobile music sensations it always brings me back to my younger years—say between 7 and 10—where I aspired to become a grown up and have fun like, I thought, everyone else in the world. Much, much older I’ve become now and what I once foresaw in life . . . is anything but these innocent dreams I crafted in my childhood.
Is it better or worse? Certainly worse, but not in such a negative sense, since it is worse for everyone, including those who have managed to pull themselves out and experience easy living. Life is a fierce fight, one we repeatedly refuse to consider as such. We fool ourselves in believing that everything is fine and that only aggravates the gap, augmenting anxiety.
On a nice day, windows open, my apartment breathes the air flowing in lightly and all the street noises come along with contrasting intensity. It is said that the street I live on is quiet. Yet, once home, sounds from the street appear quite intense. All kinds of conversations impolitely invite themselves in and invisibly occupy the workshop (the workshop is the part that should rather be a normal living room, but I want to take advantage of its window and all the light it lets through to draw).
I am therefore never alone in my apartment. These bits of fleeting conversations keep me company . . . even in the middle of the night, when I’m not sleeping and I have left the window open.